PÉRIGNAC : LÉGENDE D'ARKARA

Dorgon demande à ses compagnons de veiller le temps qu’il ira explorer les environs à la recherche d’un endroit qui se prêtera le mieux à un nouvel enclos pour son prisonnier. Ensuite, il monte à bord de son vaisseau et survole le canton d’Atlantis. À la limite des vastes champs de blé, il aperçoit une chaîne de montagnes derrière laquelle se trouve un territoire que les Paysans et les Connients n’ont pas encore exploré. L’attention du pilote est rapidement attirée par la présence d’un immense cercle dans un champ. Le navire se pose près de celui-ci dès que Dorgon ordonne au tube de mégator de s’arrêter à cet endroit. En sortant du navire, le visiteur est saisi par une forte impression. Ce n’est pas la désolation de l’endroit qui provoque en lui ce sentiment de tristesse, ni les cendres de l’ancien feu sacré des Djinardiens qui se trouvait là, mais c’est plutôt un besoin intense de se recueillir qui touche le mutant de façon si intense et le rend si ému. Dès lors, il perçoit des vibrations si fortes autour de lui qu’il n’a pas à se convaincre d’avoir découvert l’endroit où y furent massacrés les Djinardiens. Un peu plus loin, il aperçoit plusieurs grottes remplies de squelettes; certains sont empilés par milliers dans un coin alors que d’autres sont enfoncés dans le sol, complètement broyés par les lourds sabots de Baa-Bouk. D’ailleurs, certaines traces sont encore parfaitement visibles un peu partout. Près des grottes, se trouvent des centaines de marmites miraculeusement épargnées par le monstre destructeur mais ce sont surtout les petites billes qu’elles contiennent qui intéressent le visiteur car il croit avoir découvert les fameuses boules dans lesquelles les petits horticulteurs y enfermaient leur élixir mais en pressant un peu trop fort sur une bille qu’il tenait entre ses doigts, le mutant voit une larme couler sur le sol. Il baisse les yeux en songeant à ses Maîtres qui sont probablement venus pleurer au-dessus de ces marmites car ces boules ne peuvent venir que d’eux seuls. Sans doute, ils ont voulu laisser la preuve d’être venu en ces lieux prendre conscience de l’ampleur du désastre occasionnée par une mauvaise décision.

Dorgon ne veut pas que Myotis profite de la naïveté des Arkariens en leur montrant les larmes de ceux qui envoyèrent Baa-Bouk sur cette planète. Il demandera hypocritement pourquoi le monstre demeure enfermé alors que les Luminatisiens eux, ont encore droit à la liberté. Dorgon ne voulant laisser aucune occasion à Myotis de détruire méchamment la réputation des ses anciens Maîtres avale toutes les larmes dans le but de les faire disparaître et sombre dans une telle tristesse qu’il en perd presque la raison. Alors, lorsqu’il voit un lièvre courir dans un champ, il tend la patte et le pulvérise en morceaux. Son geste désespéré provoque alors un questionnement sérieux sur l’acte qu’il vient de poser et il se demande à quoi lui sert une patte si prodigieuse s’il s’en sert pour détruire? Sortant à peine de sa léthargie, le mutant pleure de désespoir lorsqu’il prend conscience de l’ampleur des terribles responsabilités rattachées au pouvoir de cette patte. Il réalise surtout que par la force des événements, il est devenu le gardien de Baa-Bouk et le peuple le surnomme déjà le Grand Aiden qui signifie : protecteur. Mais Dorgon n’a pas demandé à subir un tel destin puisqu’il a cru pouvoir confier son prisonnier à ses Maîtres après la victoire. Malheureusement, les bulles lumineuses ne sont plus en mesure de l’aider depuis la perte de leur planète. Alors, un grand sentiment de solitude l’envahit à l’idée d’avoir à supporter le poids d’une telle charge sur ses épaules et en plus de la peur d’avoir à garder un monstre qui profitera de la moindre occasion pour s’évader et commettre un nouveau génocide.

Dorgon retourne dans la grotte en tenant une marmite sous son bras et y dépose plusieurs squelettes. Ensuite, il remplit les centaines de chaudrons de verre et les enterre dans les cendres de l’ancien feu sacré. C’est sa façon à lui de redonner un peu de dignité à quelques Djinardiens. Tout de même, il réalise qu’il en aura pour plusieurs jours à ensevelir tous les autres squelettes.

Une boule de feu descend lentement du ciel et s’immobilise un court moment au sommet de la montagne. Elle semble examiner l’endroit avant de construire la future demeure de Dorgon. Le mutant fixe l’étrange boule pendant que celle-ci tranche une grande partie de cette chaîne de montagnes escarpées et crée ainsi, une immense terrasse. Elle taille même un pic qui servira d’observatoire. Puis, une pluie de terre tombe miraculeusement sur cette gigantesque plate-forme en soulevant un nuage de poussière. Alors, un magnifique jardin en émerge en un instant. Puis, de la verdure apparaît autour de la grande surface où se dresse simultanément une demeure immense ressemblant à un nid renversé. L’entrée se compose d’une porte d’arche entourée de vignes et de fenêtres triangulaires recouvertes de jolies fleurs. À l’intérieur se dresse une imposante table reposant sur quatre troncs d’arbres. Étrangement, les quatre chaises de même style que la table semblent vivantes puisque de nombreux bourgeons apparaissent sur les dossiers extérieurs et le long des pattes en forme de tronc. Toute fière de son œuvre, la boule de feu danse joyeusement au sommet de la montagne pendant que le mutant cherche à comprendre le sens de ses étranges mouvements et de ses nombreuses pirouettes. Alors, une voix se fait entendre et demande à Dorgon de remonter dans son vaisseau pour venir la rejoindre là-haut. Cette petite voix vient de la boule de feu et veut savoir s’il y a assez d’espace près de la plate-forme pour y faire une piste d’atterrissage pour l’immense navire volant de trois cent trente-trois mètres de circonférence utilisé par le Grand Aiden. Alors son vaisseau se pose sans aucune difficulté derrière le gros nid renversé. Dorgon est fasciné par les prodiges de cette boule de feu mystérieuse qui s’est même amusée à sculpter un escalier qui part du sommet et descend en tir bouchon jusqu’au pied de cette montagne bien qu’elle soit tout de même assez impressionnante en hauteur. La boule de feu semble toute excitée lorsqu’elle demande au mutant s’il trouve sa nouvelle demeure à son goût. Dorgon examine l’œuvre accomplie et opine d’un large signe de tête en souriant. Puis son regard se porte vers le champ qu’il vient de quitter et s’attriste à nouveau mais la boule créatrice devine ses pensées et lui dit que tous les squelettes qu’il n’a pas encore ensevelis reposent à présent en paix au fond de son jardin. Elle lui demande toutefois de ne plus s’attrister sur des squelettes qui ne sont en fait, que des souvenirs. Elle lui conseille plutôt de s’intéresser à l’esprit qui survit après la mort physique. Le mutant lui demande timidement si elle est cette boule de feu qu’il vit devant lui lorsqu’il sortit de son œuf en tenant les deux serpents dans ses mains. La sphère lui répond que non seulement elle est cette boule de feu qui a couvé son œuf avant sa naissance, mais celle aussi qui le dota de sa patte prodigieuse. Elle lui demande de la soulever pour lui permette de voir l’intérieur de celle-ci. En effet, le mutant voit plusieurs petits cœurs cristallins sur chacune de ses serres qui prouve qu’il est l’enfant du Cœur fantastique. Sur ce, la boule flamboyante le laisse méditer au sommet de cette montagne, tel un aigle royal dans son refuge et retourne à son point d’origine en disparaissant dans l’immense Cœur qui éclaire et gouverne Arkara. C’est pour cela que le peuple l’appelle justement le Cœur royal.

Juché au sommet du pic devenu sa tour d’observation, Dorgon contemple longuement les environs car de cet endroit, il voit parfaitement le canton d’Atlantis et surtout les trois boules luminatisiennes, véritable trésor, héritage de ses Maîtres lumineux. Il constate que de l’autre versant de la montagne se trouve un immense champ qui pourra servir d’enclos au monstre Baa-Bouk. Ainsi, son gardien pourra le surveiller facilement de son observatoire. C’est donc là qu’il va falloir transporter les pierres pour l’enclos et près de celui-ci, il fera construire la demeure des autres mutants. Dorgon scrute le jeune ciel de couleur pommette en conservant toujours l’espoir d’y voir apparaître les bulles lumineuses car si elles existent encore quelque part, elles n’ont désormais plus de patrie. Le mutant doute que la disparition de Luminatis ait pu véritablement détruire la civilisation des Luminatisiens car bien qu’ils n’aient plus de planète, ils possèdent toujours ce pouvoir de créer presque tout ce qu’ils désirent, incluant une autre planète. Toutefois, la division de ce peuple est facile à imaginer et ce qui arriva lorsque la planète fut détruite. Une querelle entre les bulles lumineuses et leurs consœurs rebelles empêcheront Dorgon de revoir de si tôt les Luminatisiens qui se poursuivent inlassablement dans l’univers.

La construction de l’enclos est une entreprise de taille puisque Dorgon veut que celui-ci soit assez vaste pour y laisser courir son prisonnier. Il a déjà calculé que le futur site possédera une superficie de soixante kilomètres de long par trente de large. Si cela semble énorme pour les ouvriers qui vont devoir élever un mur autour de ce terrain, il ne représente qu’un vaste enclos pour un animal de la taille d’un dinosaure. Toutefois, Baa-Bouk ne pourra échapper au regard de son gardien qui, de son observatoire, possède une vue complète des environs. Aussi, le monstre ne pourra fuir sa demeure lorsque les murs seront trop haut pour la bête. Il lui sera également impossible de creuser un trou sous le mur puisque la boule de feu a déjà eu l’initiative de recouvrir ce champ d’une épaisse couche de cristaux brillants. À moins de vouloir s’y brûler les yeux, le prisonnier oubliera vite ce moyen s’il cherche à s’enfuir. Tout de même, Dorgon songe à faire recouvrir l’enclos d’une mince couche de terre pour que le monstre puisse courir dans son royaume sans constamment être ébloui par les cristaux. Il y a même une grande caverne où Baa-Bouk pourra s’y loger sans qu’il puisse y trouver un autre passage secret qui le mènera sur la planète Terre car dans cette grotte, il n’y a qu’une immense galerie vide. Dorgon est convaincu que le monstre ne pourra jamais fuir sa prison. De cela, il devrait se réjouir ou du moins, en être rassuré mais ce Baa-Bouk est un être tellement énigmatique pour ne pas dire, un véritable mystère, qu’on sent en lui une force obscure qui dépasse l’entendement. Il existe donc une forte probabilité qu’il exerce son pouvoir sur quiconque croisera sa route. Il trouvera ainsi bien des défenseurs pour accomplir sa vengeance car il veut la destruction d’Arkara. Dorgon en est tellement convaincu qu’il n’arrive pas à se reposer car il sait que son prisonnier veut reprendre son royaume même si cela devrait lui prendre des millions d’années pour l’obtenir.

Dorgon décide de recruter les ouvriers pour la construction de l’enclos. Alors, il remonte dans son vaisseau et celui-ci se pose bientôt près du village d’Atlantis. À nouveau, il demande au jeune tailleur de pierres s’il est disposé à enseigner son métier à des milliers d’ouvriers car il faudra des murs de pierres sur une distance de soixante kilomètres de haut. Alors, un seul tailleur ne pourra jamais terminer cet enclos dans un délai raisonnable. Le jeune Adiech accepta volontiers de former d’autres ouvriers déjà volontaires. Il choisit même la carrière idéale pour tenir à distance un monstre comme Baa-Bouk car les pierres sont si piquantes qu’on dirait des cactus. C’est évident que le prisonnier y pensera à deux fois avant d’aller se frotter le museau sur ce mur.

Comme les Paysans veulent tous participer à la construction de l’immense enclos, il reste à présent la question du transport des pierres cactus jusqu’au chantier où elles seront taillées sur place. Dorgon songe aussitôt aux géants car les Connients sont également disposés à faire leur part. Il semble pourtant que plusieurs d’entre eux sont affectés par une étrange maladie qui diminue la durée de leur vie depuis leur retour du massacre. On croit que le monstre les a sans doute infectés de sa salive car ceux-ci, en revenant dans leur village, ont contaminé leurs épouses qui vieillissent aussi rapidement qu’eux. Le plus triste dans tout cela est d’apprendre que leurs enfants héritent de ce mal étrange qui les rendra déjà très vieux à quarante ou cinquante ans, contrairement aux jeunes Paysans dont la durée de vie est illimitée. Pourtant c’est sans rancune envers le Cœur royal que les géants dansent et chantent devant Dorgon pour lui prouver qu’ils ne lui en veulent pas d’être impuissant à les guérir contre cette sorte de maladie transmise par Baa-Bouk. Pour y parvenir, il faudrait que le monstre noir disparaisse. Les Connients fascinent le mutant par leur bonne humeur naturelle, leur simplicité et leur nature. Ils sont scrupuleux, réservés, peu bavards et si naïfs qu’ils croient tout ce qu’on leur dit. En réalité, un Connient ne ment jamais et s’imagine que son interlocuteur en fait autant. Les Paysans par contraste sont beaux et aiment se promener nus la majorité du temps. Ils vieillissent si lentement qu’ils se croient immortels. Dorgon constate que les Connients sont tellement différents des Paysans qu’il n’arrive pas à saisir la logique du Cœur royal lorsqu’il créa ces deux races arkariennes. Cependant, il hésite à employer les Connients pour cette grande entreprise car il aimerait qu’ils profitent du peu de temps qu’ils ont à vivre pour s’occuper d’eux. Mais les géants insistent pour participer à la construction de l’enclos.

Une femme présente un objet étrange au visiteur. Il s’agit d’un casque de chevalier. Le mutant ignore lui-même à quoi doit servir un tel masque de fer mais la propriétaire de l’objet lui dit que ce casque fut donné à son époux par un singe qui marche sur une boule. Il tenait cet objet dans les mains en prétendant qu’il s’agissait du casque d’un chevalier dont le château fut envahi par des misérables. Il paraît que le singe lui avait dérobé son casque pour l’empêcher d’aller combattre un château qui ne possédait plus de trésor. La femme offrit ce casque à Dorgon en lui disant qu’il doit être lui aussi un chevalier pour oser défendre le peuple contre Baa-Bouk. Dorgon se rend compte que Phardate a dit vrai lorsqu’il a mentionné l’existence d’un singe nommé Primus Tasal car celui-ci continue toujours à se promener discrètement sur Arkara sauf qu’il lui arrive de s’adresser à quelqu’un comme ce Connient qui a hérité d’un casque de chevalier.

Lorsque les travaux débutent dans l’immense carrière située près de leur village, les Connients sont très mal équipés pour marcher sur un véritable amas de petits piquants et doivent passer des heures à retirer des aiguilles introduites sous leurs pieds. Pour se protéger, ils portent un genre de chaussettes que tissent leurs épouses ce qui n’empêche pas les fichues aiguilles de pierres cactus de les traverser. Dorgon cherche donc un autre matériel pour fabriquer des bottines à ses pauvres travailleurs mais sans succès. Un autre problème ralentit également l’érection de la muraille car les Connients n’arrivent plus à se concentrer sur leur travail depuis qu’ils sont infectés par l’étrange maladie qui affecte aussi leur mémoire car ils oublient rapidement ce que Dorgon leur demande de faire. Ils ont à classer les pierres selon la grosseur et longueur avant de les placer dans des grosses charrettes inventées par le mutant. Celles-ci ne possèdent que deux roues aussi larges que des rouleaux compresseurs. Les travailleurs les tirent joyeusement sans le moindre effort même lorsqu’elles sont pleines et en peu de temps, elles laissent des traces sur leurs nombreux passages entre la carrière et le chantier. À la longue, ces sentiers deviennent peu à peu des routes assez amusantes car comme les Connients sont distraits, ils font souvent des détours et s’amusent même à traîner leurs grosses charrettes autour des collines et des étangs. À vol d’oiseau, les routes d’Arkara font penser à des dessins d’enfants. La plus surprenante est celle qui serpente une grande partie de la forêt située autour de la pyramide et du Cœur royal. Un marcheur qui souhaite traverser ce bois en suivant le sentier va devoir s’attendre à faire le tour de plusieurs arbres et se retrouver devant un rocher sans plus. On ne s’y fait prendre qu’une seule fois à ce parcours qui fut tracé par un Connient qui aimait beaucoup flâner dans ces bois.

Un jour, un jeune berger nommé Lemu vint demander à Dorgon s’il peut se joindre aux ouvriers sur le chantier. Le mutant lui rappelle alors que de garder un troupeau est un noble travail aussi important que de bâtir une muraille. Mais Lemu fixe les bottes du mutant et se dit préoccupé par les blessures aux pieds que s’infligent les pauvres travailleurs de la carrière de pierres cactus avant de demander d’un petit air audacieux si la condition mentale des travailleurs est une raison suffisante pour laisser ces derniers travailler sans bottines comme celles qu’il voit aux pieds du responsable des travaux. Dorgon s’en défend en disant que ces bottes ne proviennent pas de cette planète et que lui-même n’a pas encore trouvé de matériel ici étant assez souple et résistant pour fournir des bottes à ses travailleurs. Alors comme Lemu connaît parfaitement le canton d’Atlantis, il conduit le mutant sur une colline où un troupeau de brebis Latnahc se montrent si timides avec le compagnon du berger que toutes les jolies bêtes se rabattent leurs longues oreilles sur les yeux. Le mutant trouve leur réaction assez amusante. Une brebis Latnahc possède une laine très bouclée de couleur brune. Ce qui la rend particulièrement intéressante à part ses longues oreilles, c’est sa queue en éventail. Lemu prétend qu’elle possède mille couleurs différentes. Le berger conduit Dorgon vers un arbre dont les feuilles sont aussi épaisses et résistantes que le cuir. Il poursuit ensuite sa route et lui montre un autre arbre qui lui, ressemble au saule pleureur. À ses branches pendent des lianes et Lemu s’amuse à se suspendre à l’une d’elles dans le but d’en prouver sa résistance. Dorgon demande à Lemu s’il peut confectionner des bottines pour ses travailleurs et celui-ci accepte avec plaisir.

Par la suite, il viendra même les aider un certain temps à la carrière. Lemu est un homme très patient et répète cent fois par jour les mêmes recommandations aux géants qui finissent par accomplir un travail si productif que les ouvriers du chantier peuvent compter sur des livraisons quotidiennes de pierres cactus qui arrivent prêtes à être tailler par ordre de grandeur. Depuis que Lemu fréquente les Connients à la carrière, il est tellement fasciné par leurs mœurs et coutumes qu’il décide de consacrer sa vie à l’étudier. Dorgon peut se fier sur Lemu et confie progressivement son poste de superviseur des travaux à Adiech, pour ce qui concerne le chantier, et à Lemu lorsqu’il s’agit d’une décision impliquant la vie des travailleurs de la carrière.

Dorgon consacre ainsi plus de temps à la surveillance de Baa-Bouk et à ses confrères mutants. C’est donc lui qui voit personnellement à nourrir le monstre. La bête noire ne mange que du sel et ne boit jamais d’eau. Son gardien se sert alors d’une longue perche au bout de laquelle se trouve un panier rempli de petits blocs de sel. Il tend ainsi la nourriture devant la gueule du prisonnier puisque même si celui-ci souffre de cécité temporaire, son odorat demeure toujours intact. Toutefois, cette jolie perche donne une idée à Myotis qui profite d’une courte absence de ses confrères pour se jucher rapidement sur le mur de l’enclos et tendre la perche entourée d’un gros chiffon noir devant les yeux de Baa-Bouk. C’est ainsi que Dorgon découvre son confrère penché sur le mur et tend aussitôt sa terrible patte et le fait basculer en dehors de l’enclos. Il saisit ensuite Myotis par un bras et le relève en le secouant sans ménagement. En colère, il avertit son pseudo-compagnon qu’il le pulvérisera s’il tente de voiler à nouveau la vue du prisonnier. Myotis se défend en prétextant simplement vouloir nettoyer les yeux du monstre. Dorgon connaît trop les malices de ce menteur pour le croire. Il sait très bien qu’en voilant la vue de Baa-Bouk, il lui permettrait de reprendre ses pouvoirs. Alertés, Polar et Bylis accourent les bras chargés de fruits et légumes sauvages qu’ils ont cueillis non loin de là. Piteusement, ils déposent doucement leur butin sur le sol pendant que Dorgon les blâme tous les deux d’avoir laissé leur compagnon complètement seul avec Baa-Bouk. Il évite d’accuser Myotis du moindre délit de peur de voir ceux-ci lui régler son compte s’ils apprenaient la vérité. La sécurité prime avant toute chose et les deux mutants lui promettent d’être toujours deux à faire la surveillance du monstre.

Dorgon est vraiment inquiet car il réalise à quel point Myotis est ambitieux et ferait tout pour obtenir des faveurs de Baa-Bouk. Alors, le souverain des mutants monte à bord de son vaisseau et utilise son tube de mégator pour ordonner aux autres navires de ne jamais s’élever à plus de cinq mille mètres. Ainsi, Myotis devra se servir d’un autre moyen de transport s’il veut quitter cette planète. Dorgon songe même à interdire à Myotis d’utiliser un navire céleste puis se ravise. Il ne faut surtout pas créer de la discrimination au sein de son escadrille même si Myotis mériterait de se faire enfermer à tout jamais. Dorgon veut surtout éviter de placer Myotis dans une situation telle où ses compagnons en profiteraient pour le narguer constamment. Déjà, à quelques reprises, ce mutant a eu droit à des gifles dites amicales derrière la tête par Polar qui ne lui cache nullement son mépris dès que l’occasion se présente, et Dorgon doit régulièrement séparer ces deux-là. Il lui faut énormément de patience pour calmer les humeurs débordantes des membres de son escadrille. Polar et Bylis sont fidèles et veulent tant protéger Dorgon et même, parfois être un peu trop zélés par moments au point de régler leurs propres affaires personnelles. Il faut donc éviter de les placer dans une situation où ils auraient une certaine liberté de faire la loi.

Le vaste enclos permanent de Baa-Bouk est terminé. Alors, Dorgon se sert de son vaisseau pour transporter le monstre dans sa nouvelle demeure. La bête elle, est surtout heureuse de retrouver la vue et à peine arrivée, montre sa reconnaissance en tentant de sauter le mur. Le pire dans tout ça c’est qu’elle risque d’y parvenir si certaines sections ne sont pas relevées prochainement. Déçus, les milliers d’ouvriers opinent tous tristement de la tête en réalisant que le travail n’est pas encore terminé. Il faudra encore remonter le mur, sauf que Dorgon juge inutile d’y affecter autant de travailleurs. La tâche consistera à relever le mur au fur et à mesure que le monstre va poursuivre son petit jeu favori. De plus, celui-ci entasse de la terre devant la muraille de manière à pouvoir se rapprocher des ouvriers et sans avertissement, lance un terrible rugissement qui provoque des frissons d’horreurs. Baa-Bouk cherche ainsi à décourager les ouvriers pour qu’ils se sauvent en abandonnant les travaux. À chaque fois, Dorgon parvient à grand peine à les convaincre de poursuivre leur noble travail. S’il y a des Connients dans les environs avec leurs charrettes, on peut voir leurs yeux se noyer de larmes; ce cri horrible à vous déchirer l’âme est celui que leurs frères ont entendu pendant le massacre dans la vallée noire et ils ne peuvent s’empêcher de pleurer sur eux à chaque fois qu’ils l’entendent.

Les semaines qui suivent se transforment en véritable cauchemar pour les ouvriers. Baa-Bouk se montre de plus en plus agressif et fonce souvent dans le mur en provoquant un bruit d’enfer. Bien que les murailles résistent à ses attaques, plusieurs ouvriers craignent à chaque secousse de chuter dans l’enclos et de se faire piétiner par cette bête enragée. À quelques reprises, Dorgon a dû intervenir en se servant de sa patte redoutable pour obliger le monstre à regagner sa grotte. Malgré le courage de tous, il s’attend à perdre un jour le contrôle de la situation car le moral des travailleurs ne pourra se maintenir bien longtemps à moins qu’il puisse leur garantir la sécurité. Pourtant les circonstances actuelles lui interdisent de proférer une promesse impossible à tenir. Un matin, il voit apparaître le petit cortège de Croucounains qui se rapproche de l’épaisse muraille. Les nains marchent sans hésitation derrière leur chef et la traversent sans y laisser la moindre trace. Immédiatement, le monstre sort de sa grotte, convaincu d’être assez gros pour vaincre ces punaises. Le regardant droit dans les yeux, Phardate lui ordonne d’arrêter de faire peur aux ouvriers avant que le Maître du destin décide de s’en mêler personnellement. Baa-Bouk se calme comme s’il prenait au sérieux les menaces que vient de prononcer l’envoyé du véritable Maître de cette planète puisqu’il était là bien avant l’arrivée du Cœur royal. Le monstre regarde ensuite d’un air hésitant un miroir ovale que Phardate retire lentement d’un étui en cuir qu’il portait à sa taille. Le miroir est minuscule pour un monstre ce qui ne l’empêche pas de reculer lentement dès que le Croucounain lui demande de se regarder dans le miroir de la vérité.

L’objet aveugle un moment la bête qui est bien obligée de voir à l’intérieur d’elle-même. Elle voit sa tête originelle ayant l’apparence d’un fœtus humain. Ensuite, celui-ci se développe et se transforme en enfant qui, par la suite, sort du crâne qui n’est finalement qu’un œuf vidé de son contenu. Il n’y a que Baa-Bouk qui puisse voir cette projection et à en comprendre le message; il fuit rapidement vers sa grotte. Ce qu’il vient de voir, c’est simplement son destin et sa véritable nature qui n’a pu naître pour une raison inconnue. C’est pour cela que sa tête originelle ressemble tant à un enfant encore embryonnaire. Le monstre sait parfaitement qu’il faudra bien qu’il naisse un jour ou l’autre. Toutefois, il refuse de mourir pour permettre à sa véritable nature de se manifester. Donc, il fuit dans sa caverne. Mieux encore…, il fait tout pour se fuir lui-même! Dorgon ignore ce que le monstre vient de découvrir lorsqu’une main se dépose doucement sur son épaule. En effet, un Connient lui sourit en lui disant que le gros monstre va se tenir tranquille à présent qu’il a peur de lui-même. Le mutant en doute mais le Connient ajoute que le véritable nom du monstre est Baaboulenchute. C’est le nom que prononça un jour une voix terrible lorsqu’elle s’adressa au monstre noir. Le géant est l’un des survivants du massacre et accepte de raconter ce qu’il a entendu au moment où la bête s’apprêtait à le piétiner comme ses compagnons. Une voix s’était adressé au destructeur en demandant à Baaboulenchute de ne pas exciter davantage sa colère. Alors, la bête s’était éloignée docilement sans poursuivre son massacre. Dorgon trouve que ce nom se décompose facilement pour désigner UNE BOULE EN CHUTE. Cette boule chute en plus vers le bas, a-t-il envie de préciser au géant. Si tel est le cas, il existe sûrement un lien entre cette boule de feu qui semble s’être perdue dans sa chute et une autre qui devint le Cœur royal. Dorgon n’est pas assez naïf pour nier le fait que Baa-Bouk est, qu’on le veule ou non, issu de la même source que le Cœur royal et le Maître du destin. Il a dû chuter en cours de route et personne ne sait pourquoi sa nature est devenue aussi monstrueuse.

L’intervention de Phardate vint à point puisque le monstre sort rarement de sa grotte. Les Croucounains décident de s’installer dans le canton et choisissent un endroit situé à quelques kilomètres seulement du Cœur royal. Leur village est vraiment pittoresque avec ses maisons arrondies et décorées comme des œufs de Pâques. Elles sont aussi coiffées de pignons pointus de différentes couleurs. Une rigole serpente le village et des petits ponts arrondis traversent les rives. Ceux-ci n’ont aucune utilité puisque les villageois peuvent enjamber facilement ce petit cours d’eau mais comme ils aiment ces ponts, cela justifie leur raison d’être. À vol d’oiseau, le village des Croucounains ressemble à une immense rose dont la tige relierait les deux rives d’Eméraudia, cette fameuse rivière qui fait entièrement le tour de la planète. Ce pont est magique et d’une rare beauté puisqu’un arc-en-ciel apparaît au-dessus de celui-ci dès qu’on y pose les pieds. Ainsi, il protège les Croucounains contre des intrus qui pourraient être tentés de savoir comment ils fabriquent l’élixir de roses, car quiconque s’aventure sans permission sur cette passerelle, fige sur place comme une statue de sel jusqu’au moment où le petit gardien du pont d’arc-en-ciel se décide à venir frotter le pied du visiteur avec une lotion servant d’antidote. Il faut dire que cette protection n’est pas superflue lorsqu’on sait que les Croucounains continuent de planter des centaines de rosiers derrière leur village et ont repris évidemment leur ancienne tradition et fabriquent secrètement du djinardin. Les paysans trouvent bientôt la démarche des petits bonshommes assez amusante depuis qu’ils circulent partout en zigzaguant. Phardate prétend que les Djinardiens marchaient tous ainsi à l’époque où ils fabriquaient l’élixir de roses. La coupable est sans doute l’odeur du parfum dégagé par cette fleur qui enivre les Croucounains! Le jeune Maître du destin aime bien les petits horticulteurs et les autorise à utiliser un feu sacré invisible à l’œil nu car ceux-ci ne pourraient faire leur djinardin sur un feu ordinaire qui dégage de la fumée car cela suffirait à gaspiller la recette. Ainsi, lorsqu’un visiteur passe, il aperçoit les petits bonshommes qui tracent un cercle dans un champ en mimant ensuite le geste de craindre la chaleur qui s’en dégage lorsqu’ils viennent déposer leurs marmites de verre devant lui. Pire encore, si le visiteur ose s’approcher de ce feu invisible, il va véritablement se brûler. Alors, mieux vaut avoir la protection d’un pont.

Phardate continue à se rendre régulièrement dans la forêt enchantée pour s’y entretenir avec le Maître du destin. À part les nains, le Cœur royal et Baa-Bouk, personne ne connaît réellement l’existence de cet enfant que le Croucounain appelle Manuel depuis qu’il est convaincu que le Maître du destin est sorti du gros livre des destinées. Même Dorgon ignorait la présence d’un tel prodige sur sa planète. Toutefois, il ne doute pas que Phardate soit l’émissaire de ce puissant Maître depuis son intervention dans l’enclos. Si le monstre a lui-même daigné prendre au sérieux l’émissaire, c’est la preuve évidente que ce Croucounain ne ment pas.

Manuel aimerait récompenser Phardate pour sa loyauté et l’amour paternel qu’il a reçu de lui lorsqu’il était encore trop jeune pour maîtriser ses pouvoirs. En effet, le nain a eu ce privilège de voir grandir le Maître du destin et lui est très attaché. Sans le dire ouvertement, il est évident qu’il éprouve envers Manuel les mêmes sentiments qu’un père aurait envers un fils bien-aimé. L’enfant lui demande donc ce qu’il aimerait dessiner dans son livre fantastique. Un tel honneur rend le Croucounain fort ému. Il guide alors la main du jeune Maître sur une page blanche et dessine une jolie rose et l’instant suivant, elle apparaît dans ses mains. La fleur de Phardate possède une aura si brillante qu’elle peut éclairer un marcheur dans les endroits les plus sombres comme dans la vallée noire. Son odeur elle, est unique dans l’univers et possède ce pouvoir de changer les cœurs. Encore plus étonné, il réalise qu’il vient de recevoir la rose d’Amour Universel. Il lui donne le nom de Filfaloso, ce qui veut dire dans la langue djinardienne : rouge flamboyant. Phardate retourne dans son village et place sa fleur dans un jardin qu’il entoure d’une clôture blanche. Il veut éviter ainsi que des visiteurs inconscients la touchent comme un simple objet de curiosité.

Quelques jours plus tard, la rose n’est plus dans son jardin et Phardate la cherche partout avec ses confrères. Il craint tellement pour sa jolie fleur qu’il ne remarque même pas les indices d’une visite inopportune. C’est le plus petit des Croucounains qui découvrit finalement des empreintes de pieds à l’endroit où se trouvait la fleur magique, et une trace continue laissée par un objet arrondi qui indiquait un aller-retour du ravisseur et disparaissait à l’horizon. Phardate se fâche lorsqu’il réalise que ces traces sont celles de Primus Tasal. Comment celui-ci a-t-il osé lui ravir une rose aussi belle? Il n’aurait jamais cru que ce petit singe puisse se transformer un jour en voleur! Sans hésitation, il part à la recherche du fugitif car il sait très bien que ce petit singe risque de lui échapper s’il fuit sur Terre par un nouveau couloir intemporel. Évidemment, si celui-ci se promène de nouveau sur Arkara, c’est qu’il a sûrement découvert un deuxième passage secret. De plus, il n’aura aucune difficulté à retourner dans l’ancienne caverne du monstre Baa-Bouk ayant en mains cette fleur pour l’éclairer dans la vallée noire. Il importe donc de lui couper la route au plus tôt. Phardate monte jusqu’à la demeure de Dorgon et lui demande s’il peut l’aider à retrouver ce singe de malheur! Le mutant ordonne à ses trois compagnons d’explorer toutes les régions de la planète après leur avoir fait la description de ce petit personnage juché sur une grosse boule.

C’est en vitesse que les quatre vaisseaux s’élèvent dans le ciel et pourchassé ainsi, le pauvre singe n’aura aucune chance d’échapper à des poursuivants aussi bien équipés. En explorant rapidement les moindres coins de la planète, Dorgon découvre bientôt le fugitif grâce à cette fleur qui a trahi sa présence. Elle miroite tellement qu’elle a attiré l’attention du pilote. Dès qu’il voit le navire volant apparaître au-dessus d’une montagne, le singe accélère sa course sur la boule mais le vaisseau se pose aussitôt au bout d’un sentier et lui coupe ainsi le passage. Mais Primus ne s’avoue pas vaincu et décide de poursuivre sa route à travers un champ si tortueux que sa pauvre planète miniature en prend un rude coup; l’effet est radical sur la vraie Terre. Un terrible tremblement la secoue et laisse apparaître des larges crevasses un peu partout. Bientôt, un raz-de-marée dévaste les côtes australes et certaines cités du monde archaïque s’effondrent comme des châteaux de cartes. Le singe sait que d’autres cataclysmes vont se produire s’il ne parvient pas à stabiliser sa boule magique sur un meilleur terrain. La chance revient de son bord lorsqu’il aperçoit une grotte devant lui. Dorgon le poursuit toujours à la course mais perd bientôt le fugitif dès que celui-ci lui échappe de justesse car l’entrée de la grotte est trop étroite pour le mutant. Il doit alors attendre l’arrivée de Phardate pour lui indiquer où il pourra peut-être retrouver sa jolie rose. Le Croucounain s’introduit prudemment mais s’arrête dès qu’il voit le petit singe et sa bille frôler le bord d’une falaise. Malheureusement pour Primus, ce passage providentiel débouchait justement au-dessus de la rivière. Désespéré, il s’agenouilla devant sa petite planète et la caressa en pleurant et en l’embrassant tendrement, telle une mère qui ne peut rien faire d’autre pour soulager les bobos de l’Humanité. Phardate devient compatissant en examinant ce pauvre singe pleurer comme un enfant inconsolable. Il a le goût de le serrer dans ses bras et lui pardonne déjà son méfait. Il amorce le geste de s’approcher lentement mais Primus s’empresse aussitôt de se relever en dissimulant vivement la fleur derrière son dos. Toutefois, lorsque Phardate lui tend doucement la main, il y dépose la rose en baissant honteusement les yeux. Le Croucounain hoche tristement de la tête en tentant de deviner les motifs qui ont incité Primus à commettre un tel acte. Le singe devance la question en lui avouant que cette fleur peut changer le cœur des hommes à la grande stupéfaction de Phardate qui est vraiment étonné d’apprendre que le ravisseur de sa rose savait déjà cela. Il lui spécifie pourtant que la rose Filfaloso n’est visible que pour les Arkariens; donc elle est inutile pour les peuples de la Terre. Atterré, Primus réalise qu’il s’est donné tout ce mal pour une fleur que les Terriens ne pourraient ni voir, ni sentir. Phardate le prend dans ses bras pour lui prouver qu’il lui pardonne son égarement. Alors, un malheur inconcevable survient quand la bille qui se trouvait trop près du ravin, chute dans la rivière avec fracas. Aussitôt, Primus hurle en se précipitant vers la falaise en criant que les hommes vont périr noyés par le Déluge. Sans hésiter, il saute à l’eau et nage péniblement en direction de la boule qui flotte encore. Il parvient à la rattraper et se glisse doucement sous celle-ci pour la soutenir au bout de ses bras. Lorsqu’il atteint finalement la rive, il se juche sur sa bille qui joue une bien triste mélodie en roulant lentement vers une destination inconnue.

Phardate retourne voir le jeune Maître du destin qui l’accueille en lui disant connaître déjà la raison de sa visite. Étonné, le nain lui demande s’il peut conserver sa rose dans la forêt enchantée puisqu’il craint maintenant de voir d’autres ravisseurs s’intéresser à sa fleur. Manuel lui répond qu’il ne peut surveiller celle-ci lorsqu’il est occupé à dessiner dans son livre. Par contre, il peut confier cette fleur à une gardienne que personne n’osera jamais affronter. Il se met aussitôt à l’œuvre et dessine une dragonne assez originale en se servant de trois insectes différents. D’abord, un corps d’araignée géante, ensuite, une tête de lézard et finalement, une queue de scorpion. Il lui ajoute une paire d’ailes géantes qui lui permettront de voler au besoin et ses pattes possèderont des épines comme les roses pour indiquer sa mission. Finalement, cette dragonne aura le pouvoir de faire sortir des flammes de ses yeux, et cracher de l’eau par sa gueule. Cependant, l’enfant Manuel spécifie que le nom de cette gardienne ne sera révélé un jour qu’à un jeune héros qui l’appellera spontanément par son nom prédestiné car il en aura reçu l’inspiration; ainsi, celle-ci saura que le temps est venu pour elle de quitter sa cachette. Manuel garde sous silence également, l’identité de ce jeune héros qui devra donner un nom à la gardienne de la plus belle fleur de l’univers.

Le nain ne peut s’empêcher de frissonner lorsqu’il voit apparaître la dragonne au-dessus de la forêt enchantée car son apparence physique est vraiment repoussante. Une tête de lézard jointe à un corps d’araignée qui se termine par une queue de scorpion de la taille d’un tronc d’arbre a de quoi surprendre! Phardate se sent toutefois rassuré à l’idée que c’est tout de même ce monstre qui aura pour mission de conserver à son cou, l’étui de cuir dans lequel se trouve déjà la rose Filfaloso. Il voit celle-ci s’éloigner lentement vers une destination inconnue. Le Croucounain doit reconnaître que la rose se trouve si bien protégée que lui-même n’oserait jamais s’approcher de cette dragonne pour lui demander s’il peut revoir sa fleur.

Phardate demande au jeune Maître comment Primus Tasal pouvait déjà connaître les vertus de la rose Filfaloso. Celui-ci lui répond subtilement que ce singe doit être très savant pour avoir deviné que cette fleur provient justement du jardin privé de la Mère Lumière. Vraiment étonné d’entendre cela, le Croucounain lui fait remarquer respectueusement que c’est lui qui a dessiné cette fleur dans son livre magique. Manuel rit de bon cœur en lui répondant qu’il a raison de prétendre qu’il lui a guidé la main, sauf que sa Mère Lumière en a également profité pour guider la sienne aussi, de sorte que cette fleur est finalement l’œuvre de trois artistes… Le nain est surpris d’apprendre que Manuel est l’enfant de la Mère Lumière. Il s’informe en lui demandant alors si l’autre enfant de la forêt enchantée est son frère. Il veut évidemment parler de ce mystérieux Perlin. En souriant, l’enfant Manuel lui répond simplement qu’il a plusieurs frères; c’est donc à Phardate d’en tirer lui-même ses conclusions. Songeur, il retourne vers son village sans se douter que la tour des trois boules luminatisiennes courent un grand danger.

Le chef des Croucounains semble apparaître au milieu d’un champ dès qu’il sort de la forêt enchantée puisque celle-ci demeure invisible pour quiconque n’est pas autorisé à y entrer. Le nain marche depuis un moment lorsqu’il remarque la présence d’un groupe de dix bulles lumineuses filant rapidement dans le ciel. Quelques minutes plus tard, une centaine de Luminatisiens empruntent la même direction en formant un rang tellement serré qu’ils sont sûrement prêts à livrer combat. Les dix bulles qui essaient de semer leurs consœurs, volent très bas en suivant la longue muraille de l’enclos de Baa-Bouk et finissent par se frayer un chemin dans un trou à demi dissimulé par des arbustes, et situé au pied du mur. Ce tunnel secret traverse la muraille malgré sa dizaine de mètres d’épaisseur, et débouche près de la caverne de Baa-Bouk. Les bulles ignorent ce fait lorsqu’elles s’y introduisent en pensant y avoir enfin trouvé une bonne cache mais ayant surgi soudainement devant la face du monstre qu’il ne faut jamais regarder dans les yeux, les rebelles ignorant ce fait sont aussitôt envoûtées. Le monstre leur crache ensuite son venin qui les noircit. Par la suite, il ordonne malicieusement à ses nouveaux esclaves d’aller détruire les trois boules qui semblent tant tenir à cœur à Dorgon; il méprise son gardien et veut ainsi se venger. Les bulles noires sortent de la caverne de Baa-Bouk et s’élèvent déjà au-dessus de l’enclos avant de disparaître dans le ciel. Apercevant ce manège, Adiech suivi de ses compagnons, dépose rapidement son ciseau et s’empresse aussitôt d’en avertir Dorgon car il est convaincu que ces bulles noires sont l’œuvre du monstre car même habitués à voir des bulles jadis, jamais celles-ci n’ont pris une telle couleur sombre.

Le mutant est inquiet. Il se demande comment Baa-Bouk peut arriver à utiliser son pouvoir dans une grotte dont la voûte laisse entrer un puits de lumière? Dorgon s’était pourtant assuré d’empêcher le monstre de se retrouver dans un seul endroit où la noirceur pourrait être complète. Par conséquent, il l’imagine difficilement comme pouvant être le créateur de ces bulles inconnues. Ce qui l’agace le plus, c’est l’idée que ces étrangères puissent venir visiter Baa-Bouk dans son antre. De plus, il semble que le monstre leur a confié une mission, mais laquelle? Le protecteur de la planète juge qu’il est préférable de retrouver ces bulles noires avant qu’elles fassent un malheur. Après avoir demandé à Adiech d’aller informer son ami Phardate de la situation, il monte à bord de son vaisseau. Le pilote consulte ensuite son tube de mégator afin de savoir s’il peut suivre la trace des intrus qui sont peut-être encore sur Arkara. Le tube analyse rapidement la demande et le vaisseau se dirige aussitôt vers les trois boules luminatisiennes. Dorgon aperçoit les boules noires tourner autour des sphères sans les traverser. Leur but est évidemment de s’emparer de quelque chose qui se trouve à l’intérieur de la boule juchée au sommet des deux autres. Peut-être cherchent-elles simplement à détruire ce qu’elle contient? Dorgon poursuit quelques bulles dans le ciel sans parvenir à les toucher car elles sont vraiment trop agiles. Mais la partie devient moins amusante pour elles lorsque des centaines de bulles lumineuses se mêlent au combat. Elles se collent à leurs consœurs faciles à cibler, et se font éclater avec elles mais la moitié des rebelles parviennent à fuir, poursuivies dans le ciel. Dorgon sait maintenant que certains Luminatisiens survivent toujours malgré la guerre qui les divise. Lorsque le mutant revient dans sa hutte, il y trouve Phardate.

C’est alors que le nain lui apprend une très mauvaise nouvelle car questionnés sur l’incident des bulles noires, les ouvriers affirment tous n’avoir jamais aperçu ces rebelles avant leur sortie de la caverne du monstre. Dorgon en déduit évidemment qu’ils ont donc dû passer par un autre endroit, cela expliquerait pourquoi les ouvriers n’ont rien vu. Si cela est le cas, il existe sûrement un autre passage quelque part qui permettrait à un mutant, inutile de le nommer, d’aller visiter secrètement son idole. C’est le seul qui aurait pu réaliser un tel passage. Dorgon, Phardate et Adiech décident d’y voir clair et longent bientôt la muraille avec discrétion car ils ne tiennent pas à inquiéter les ouvriers qui pourraient paniquer en apprenant que quelqu’un visite le monstre clandestinement. Donc, ils font semblant d’inspecter la muraille tout en parlant de tout et de rien et s’arrêtant de temps à autre. À une dizaine de mètres de la caverne, ils découvrent de gros blocs de sel encore mouillés entassés contre le mur bien que Dorgon largue normalement cette nourriture de son navire au milieu de l’enclos. Qui a fait ça? Il est le seul à pouvoir descendre dans l’enclos sans craindre les humeurs de Baa-Bouk. Ces blocs ont volontairement été transportés dans la gueule du monstre dans le but d’empêcher son gardien de voir le trou. Dorgon ne veut pas toucher ces blocs qui puent la bave et recule à une certaine distance avant de les pulvériser. Ensuite, il découvre un tunnel, s’y introduit et traverse de l’autre côté de la muraille. Encore là, les broussailles qui peuplent cet endroit expliquent pourquoi personne n’a remarqué cette faille avant ce jour. Dorgon crie pour attirer l’attention de ses amis demeurés au sommet du mur mais ceux-ci, bien qu’ils entendent parfaitement son appel, n’arrivent pas à le voir parmi ces arbustes. Dorgon sort de sa cachette et demande à ses amis de venir le rejoindre. Adiech examine le trou et affirme qu’on doit tout de suite oublier une possible défaillance dans la construction du mur. Ce passage a bel et bien été exécuté avec un ciseau de tailleur. Dorgon et Phardate ne tardent pas à retrouver Myotis qui arrache paisiblement des carottes dans un champ situé derrière la demeure des mutants. Évidemment, personne ne s’attend à voir ce menteur à tête de bouc avouer quoi que se soit. On lui annonce sans détour qu’il ne pourra plus compter sur ce tunnel pour visiter Baa-Bouk dans l’avenir. Myotis répond d’un air indifférent que cela ne le concerne pas de savoir qu’on va obstruer un trou dont il ignorait l’existence. Son sarcasme provoque Dorgon et c’est à bout de nerfs qu’il lui réplique que l’idéal serait d’en profiter pour le faire emmurer en même temps! Myotis hausse les épaules et reporte son attention sur les carottes qu’il cueille bien qu’il n’en mange même pas. Il les offre sans doute à des lapins sauvages pour les attirer et les dévorer ensuite en secret. Là encore, le protecteur de la planète aimerait bien surprendre ce malin à commettre cette infamie puisque personne sur cette planète n’est autorisé à manger des animaux, des poissons ou des insectes. Il faut dire qu’ils sont intelligents, parfois encore plus que certains Paysans; ce fait est à prendre en considération. Bien sûr, parfois les mouches s’amusent à taquiner mais il suffit de leur demander d’aller battre des ailes ailleurs pour qu’elles obéissent sans en éprouver la moindre frustration.

Une autre surprise attend nos amis lorsqu’ils interrogent Polar et Bylis. Ceux-ci ont tellement pris au sérieux la colère de leur souverain qui leur demanda de ne jamais laisser un mutant seul pour surveiller le prisonnier qu’ils forment désormais une équipe à trois bien que ce ne soit pas toujours agréable de travailler avec Myotis. Ils vont même ensembles au village lorsqu’ils ont des objets d’artisanats à échanger contre des articles divers comme du vin, du pain et du fromage. Si les compagnons de Myotis disent la vérité, ce mutant n’a vraiment pas eu le temps de pratiquer lui-même ce trou dans la muraille. Alors, l’idée qu’il puisse diriger quelques dévots du monstre s’impose et cela pose un problème encore plus grave. Ainsi, si quelques Paysans se laissent endoctriner par lui, il faudra tenter de les identifier.

Lemu, l’ancien berger des brebis Latnahc demande à Dorgon s’il peut le remplacer à la carrière afin d’assister à l’Assemblée communautaire pour l’élection du Grand superviseur du canton. Le mutant accepte de passer la journée avec les Connients devenus indispensables pour la mise à jour des murs de l’enclos de Baa-Bouk. Il faut dire que Lemu en tant que contremaître de ces vaillants travailleurs a développé l’amitié avec ces grands enfants, et ils reconnaissent sa sagesse malgré son jeune âge. Il aime bercer leurs jeunes enfants pendant que leurs mères préparent le repas familial. Ce fait semble même étrange puisque les autres Paysans s’intéressent très peu aux Connients et à leur culture. Il faut dire que l’aspect primitif et la nature des géants, à la fois réservée et discrète incitent les Paysans à les juger selon ce qu’ils voient et non d’après ce qu’ils savent sur eux. De leur côté, les géants ne font rien pour inciter les Paysans à comprendre leurs mœurs et ne cherchent pas davantage leur compagnie. Il est clair que ces deux peuples distincts se côtoient uniquement pour le travail. Mais à vrai dire, il est même préférable de ne pas trop mêler ces deux cultures arkariennes puisque si les géants se multiplient en suivant la loi de la nature, il en va autrement pour les Paysans. Ils naissent d’un cocon givré et ne connaissent pas les plaisirs sexuels. Donc, cette nuance entre ces deux peuples est assez importante pour creuser un véritable fossé culturel et social entre ces deux races si les contacts étaient trop rapprochés.

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